La maladie de Chagas évolue et se répand au-delà des zones rurales d’Amérique latine. Découvrez les dernières avancées scientifiques sur cette maladie et sur son vecteur potentiel, la punaise de lit. Quels sont les risques pour la santé publique ? Comment la croissance urbaine et le commerce international contribuent-ils à sa propagation ? Ne manquez pas l’opportunité de mieux comprendre ce phénomène et de contribuer à sa prévention.
La maladie de Chagas, en bref
Également appelée trypanosomiase américaine, la maladie de Chagas est une affection potentiellement mortelle causée par le parasite Trypanosoma cruzi. La maladie évolue en deux phases : une phase aiguë généralement inaperçue, suivie d’une phase chronique. En l’absence de traitement, l’infection ne guérit jamais et peut mettre la vie en danger. Près d’un patient sur trois aura des complications d’ordre cardiaque, digestive ou neurologique dix à 25 ans après l’infection.
Elle affecte les humains et d’autres mammifères. Elle se propage surtout par des insectes vecteurs, des triatomes, qui sont un type de punaises. La transmission vectorielle se produit lors de la piqure du triatome qui va contaminer la muqueuse ou l’ouverture cutanée avec ses matières fécales. La maladie se transmet aussi par voie orale, sanguine, congénitale, par transplantation d’organes et accidents de laboratoire.
La maladie de Chagas ne se trouve que dans les Amériques. Elle est principalement présente dans 21 pays d’Amérique latine où elle est endémique, et en particulier dans les zones rurales où la pauvreté est répandue. On estime que 6 à 7 millions de personnes en sont malades dans le monde (au Mexique, en Amérique centrale et en Amérique du Sud).
On peut désormais considérer que cette infection est réémergente. Cela signifie que des cas autochtones (localement acquis) sont signalés là où il n’y avait pas d’infections auparavant.
La punaise de lit, vecteur potentiel de la maladie de Chagas
La punaise de lit (Cimex lectularius) provoque des réactions dermatologiques et allergiques chez certaines personnes. Cependant, aucune preuve solide ne montre qu’elle peut transmettre des agents pathogènes aux humains.
Les punaises de lit et les punaises triatomes, toutes deux des parasites hématophages (se nourrissent de sang), présentent plusieurs similitudes. Étant donné ces similitudes, les punaises de lit pourraient-elles également transmettre Trypanosoma cruzi, l’agent responsable de la maladie de Chagas chez l’homme ?
C’est ce que la recherche tente de déterminer. D’après les résultats d’une étude, la punaise de lit est en effet capable de transmettre T. cruzi. Mais on ne sait pas encore clairement si l’insecte peut devenir un vecteur important du parasite.
Notons toutefois que ces expériences de laboratoire ne permettent pas de déterminer si Cimex lectiularius peut transmettre le parasite aux humains en situations réelles.
La maladie de Chagas, une maladie réémergente
En examinant les données historiques de la maladie au Texas, des chercheurs ont constaté que la plupart des cas étaient liés à l’immigration et n’étaient pas confirmés par des tests sérologiques. Cependant, lorsque les tests de dépistage chez les donneurs de sang ont commencé en 2008, 1 donneur sur 6.500 était séropositif pour T. cruzi. Parmi eux, 36% des patients présentaient des signes cliniques de cardiomyopathie (une maladie qui touche le muscle cardiaque et réduit la capacité du cœur à pomper le sang riche en oxygène vers le reste du corps) associée à la maladie de Chagas. Selon la recherche, il est possible que la transmission autochtone au Texas soit responsable d’au moins 5 de ces cas.
Dans leur étude, les chercheurs indiquent que plusieurs facteurs contribuent à la réémergence de la maladie de Chagas :
- les patients infectés asymptomatiques (ne présentant pas de symptômes) peuvent se déplacer vers des zones non endémiques, ce qui crée un risque de transmission par les produits sanguins et les donneurs d’organes dans les pays où il n’y a pas de dépistage ;
- les femmes enceintes infectées asymptomatiques peuvent transmettre le parasite à leurs enfants, ce qui représente une source potentielle de propagation continue de la maladie dans les pays endémiques et non endémiques ;
- les infections transmises par voie orale dans les zones d’endémie indiquent que la lutte antivectorielle (contre les insectes vecteurs) dans les habitations ne suffit pas à contrôler la transmission de la maladie de Chagas.
La croissance urbaine et le risque vectoriel
La maladie de Chagas touche surtout les populations rurales à faibles ressources économiques. Cependant, d’après une étude menée au Venezuela, la transmission peut également se produire en milieu urbain, souvent par ingestion d’aliments contaminés. On attribue cela à deux phénomènes concomitant :
- la migration des populations vers les centres urbains,
- et l’adaptation des vecteurs à ces environnements.
Dans les zones rurales, la maladie de Chagas se propage principalement par la piqûre d’un insecte infecté. Deux types de triatomes, Triatoma infestans et Rhodnius prolixus, sont souvent responsables de la propagation de la maladie. Les habitants de ces zones vivent généralement dans des maisons simples avec des toits en palmier et des murs en terre.
Beaucoup de personnes ont quitté les zones rurales pour vivre en périphérie des grandes villes. En faisant cela, elles ont amené leur mode de vie rural, y compris les cultures et les animaux domestiques infectés. Les poulets et les rongeurs présents autour des maisons attirent des insectes porteurs de la maladie. Cela a facilité la propagation de la maladie de Chagas dans les zones urbaines.
Dans les zones rurales, la population des parasites responsables de la maladie est répartie entre différents insectes et différents réservoirs. Mais en milieu urbain, le parasite se concentre dans quelques réservoirs dont l’homme et une seule espèce d’insecte. Cela augmente les risques d’exposition et d’infection.
La maladie de Chagas se transmet également par d’autres voies en ville. Les cas liés aux transfusions sanguines et aux greffes d’organes sont plus courants dans les villes où se trouvent les banques de sang et les centres de transplantation. De plus, en milieu urbain le diagnostic d’une transmission de la mère à l’enfant pendant la grossesse est plus fréquent.
Commerce international et circulation des vecteurs
La plupart des espèces de Triatoninae sont réparties dans les Amériques. Mais quelques-unes se trouvent en Extrême-Orient et en Inde. Si l’une d’elles, Triatoma rubrofasciata, est largement présente dans le monde, la référence unique à cette espèce près de l’Europe provient des Açores.
T. rubriofasciata est considéré comme un mauvais vecteur de la maladie dans les Amériques mais pas en Chine ou au Vietnam, où l’espèce est plus abondante. Néanmoins, en Extrême-Orient, cette espèce est devenue un problème de santé publique au fil des années en raison de nombreuses piqûres qui peuvent s’aggraver par gonflement, démangeaisons et surinfection.
Le 12 novembre 2021, en Espagne, un spécimen mort de T. rubrofasciata a été retrouvé dans un portefeuille. Le portefeuille a été fabriqué en Chine, où la distribution du vecteur chevauche les principales zones de production destinées à l’exportation. L’hypothèse la plus probable est donc que le spécimen provient de Chine.
Si aucune preuve de transmission locale de la maladie de Chagas n’a été identifiée, l’Espagne a la plus haute prévalence en Europe, principalement en raison des cas importés d’Amérique latine. L’introduction d’un nouveau vecteur en Espagne pourrait donc créer un nouveau risque, selon les scientifiques.
Toutes ces études s’accordent à conclure qu’il est nécessaire de mettre en place des stratégies de prévention et un système de dépistage pour combattre la maladie de Chagas qui est considérée comme réémergente. Il faut également étudier davantage le rôle des punaises de lit dans la transmission du parasite et les risques pour la santé publique liés à leur prolifération. Les punaises de lit résistantes aux insecticides pourraient d’ailleurs poser un défi majeur pour contrôler la transmission vectorielle de la maladie. Une approche intégrée devra donc inclure de nouveaux médicaments, vaccins, insecticides et programmes de surveillance.